STATUE DE SHIVA NATARAJA
L'une des représentations parmi les plus communes, parmi les plus célèbres de l'art hindou, étroitement associé aux bronzes Chola, car très fréquente à cette époque, est le somptueux Shiva (ou Çiva en tamoul) Natarâdja, Seigneur de la Danse — ou des Danseurs.
Shiva accomplit la danse cosmique de la destruction et de la création de l'univers. La danse cosmique symbolise le renouvellement périodique du monde, en un rythme infini de dissolutions et de naissances. Pour les hindous, la danse est plus ancienne que le monde lui-même car c'est précisément en dansant sur le mont Kailasa que Shiva créa le cosmos et notre Âge, en prenant cette posture au moment de la création, posant le pied droit sur la tête du démon primordial, Apasmârapurusa, symbole d'ignorance et de cécité, et le tue.
Sa chevelure se déploie sauvagement tandis qu'il danse, transporté par le rythme du petit tambour en forme de sablier ou de clepsydre (damaru) qu'il tient dans la plus haute de ses mains droites. Ce rythme est la pulsation du cosmos (mâyâ) qui naît à la vie grâce à l'action bénéfique de la danse créatrice, en créant, à chaque battement, l'air, le feu, l'eau et la terre, et réveillant ainsi la vie ; mais c'est de cette même danse que jaillira l'étincelle qui détruira le monde. Le cosmos est figuré par le cercle qui contient la divinité ; il jaillit des bouches fertiles du makara placé sur le socle de la statue.
Le moment de la création du cosmos est donc associé à sa destruction simultanée, symbolisée par les flammes qui bordent le cercle et la flamme unique que le Dieu tient dans sa main gauche supérieure. Cette flamme unique réduit tout à néant : elle fait écho au tambour créateur de la main droite supérieure.
La main droite inférieure offre le réconfort aux fidèles en effectuant le rassurant abhaya moudrâ de bénédiction, bénédiction redoublée par le geste languissant (gadja hasta) de la main gauche inférieure — doigts ballants, dans une posture qui évoque la trompe d'un éléphant ; la main est ici pointée vers le pied gauche qui vient de quitter le dos du nain ou démon de l'ignorance. Cette posture symbolique permet au fidèle la libération des souffrances de la mâyâ, tandis que le pied droit écrase le dos du démon de tout le poids du danseur en action. Le démon tient un cobra venimeux, mais Shiva porte en ornement le même serpent mortel autour de son bras droit bienveillant.
Parmi quantité d'autres détails significatifs figure un crâne, au sommet de la chevelure emmêlée du Dieu, où l'on voit également un croissant de lune, symbole de la présence cyclique de Shiva à l'intérieur et à l'extérieur du cosmos : caché, il est encore présent. Dans ses cheveux, mêlés aux cendres des morts, Shiva reçoit le Gange qui tombe du ciel ; une minuscule effigie de la déesse Gangâ est placée à droite, sur une mèche de cheveux. Sorte de sirène hybride, son aspect féminin se fond avec celui du makara.
Le symbolisme, analysé en détail par Heinrich Zimmer et Ananda Coomaraswamy dans The Dance of Shiva, est infini ; pour un fidèle shivaïte, cette représentation constitue un sermon tangible sur la compassion sans limite et la puissance universelle du Dieu dansant, créateur et destructeur.
Cette sublime danse cosmique, le tandava, figure à la fois la création et la destruction des mondes, qui, selon le point de vue hindou, sont nécessairement liées et interdépendantes. Elle est censé avoir lieu dans le temple de Chidambaram, dans le sud de l'Inde[5].Shiva Natarâdja est une forme typique du sud de l'Inde, et c'est aussi la divinité tutélaire du temple de Chidambaram où sont sculptées dans la pierre les postures du Bharata Natyam, la danse classique sacrée de l'Inde méridionale. Il est, sous cette forme, vénéré par les artistes scéniques (musiciens, danseurs, comédiens) indiens. Le danseur Raghunath Manet dans sa chorégraphie de Trimurti ou les sept danses de Shiva présente une nouvelle vue de la « trinité hindoue ».